La mort du dernier bâtiment industriel du Val de Seine

Publié le 4 Avril 2011

 

 

 

Nous avions rêvé d'un autre destin pour le dernier bâtiment industriel du Val de Seine, l'ancienne usine Gaupillat, à Meudon.

Nous nous étions emparé de son devenir, imaginé sa transformation en un lieu utile pour le quartier, pour ses habitants, pour ses usagers.

Nous avions espéré qu'au milieu de cette vallée de la Seine, cette dernière cheminée en brique, ces derniers sheds, cette dernière mémoire insustrielle encore debout, resisterait à l'appétit des promoteurs. Car déjà, leur appétit nous avait semblé rasasié après la disparition des usines Renault et de son complexe industriel sur l'Ile Seguin et alentours.

Nous avions espéré que les décideurs politiques ouvriraient les yeux enfin sur le fait qu'on n'est pas toujours obligé de céder aux sirènes d'une soit disant modernité qui consiste à faire table rase du passé pour ériger des immeubles sans âme et tellement identiques à leurs voisins. Et puis quoi ? Construire face à l'Ile Seguin une banalité ?

Tous ces espoirs parce que nous mêmes nous avions soudain, après une nouvelle démolition, ouvert les yeux sur notre environnement immédiat. Et nous avions découvert ce bâtiment, dont la façade ne disait rien tant nous l'avions longé depuis des années sans nous en soucier. Nous avions fait ce travail de découverte d'un trésor soudain révélé parce que devenu unique.

L'association La Fabrique était née et rassemblait en quelques mois des énergies formidables issues d'une multitude d'horizons : historiens, architectes, artistes, étudiants, spécialistes de l'insertion ou spécialistes de rien du tout. Des heures passées à affiner et enrichir le projet, à voir ailleurs, à se documenter, à rencontrer, l'Histoire ne retiendra pas grand chose, mais ce n'est pas ce que nous cherchions.

Ce que nous cherchions et que nous avons presque touché du doigt, c'était démontrer que réfléchir et faire autrement était possible. Utopiques certes.

Nous n'étions pas seuls, pas fous, puisqu'ailleurs des exemples probants de reconversion intelligente de patrimoine industriel existent.

Mais nous avions oublié, ou tenter de le faire, que nous étions dans un environnement spécifique : les Hauts-de-Seine.

Oublié que le 9-2 est un département d'exception toujours.

Car, avec quelques « si », le dernier bâtiment industriel du Val de Seine serait toujours debout.

Si le maire avait eu une lueur d'intelligence, il aurait peut être pensé qu'une association s'intéressant au patrimoine de sa ville et souhaitant le transformer, ce n'était pas forcément idiot, et pas obligatoirement dangereux.

Si l'Architecte des Bâtiments de France avait eu quelque courage de résister à la pression politique, il se serait peut être exprimé plus professionnellement en s'opposant à la destruction.

Si le Ministre de la Culture avait décidé de faire son boulot de façon neutre sur tout le territoire francilien, alors il aurait classé l'usine.

Si les propriétaires s'étaient un peu intéressés à leur héritage, peut être ne l'auraient-ils pas vendu au plus offrant, et se seraient souciés de ne pas mettre à bas la dernière trace du caractère d'entrepreneur de leur ancêtre.

Si chez Bouygues Immobilier ils avaient eu un peu de génie, ils auraient acheté le bâtiment pour le faire évoluer, sans le détruire.

Imaginez avec nous la même histoire, dans un autre département !

Malheureusement pour elle, l'ancienne usine Gaupillat avait une adresse postale qui ne collait pas à un projet différent de tous ceux qui l'entourent.

Malheureusement, il n'y a pas eu d'intelligence, de courage, d'intérêt ni de génie.

Demain, vous passerez peut être devant des immeubles flambants neufs en bord de Seine, dans le bas-Meudon. Vous ne saurez pas où se trouvait Gaupillat. Le bâtiment aura été effacé et sa mémoire, celle de ses constructeurs, celle des ouvriers qui y ont travaillé, celle du quartier qu'elle animait, aura définitivement disparu. La normalisation se sera donc poursuivie en gommant l'ensemble du passé d'un territoire.

Nos enfants, les vôtres dessineront des usines à toit plat et sans cheminée. Des usines modernes et propres.

 

La connerie n'a parfois jamais de limites, elle vient de le prouver une nouvelle fois en signant l'arrêt de mort de l'ancienne usine Gaupillat.

Rédigé par Catherine Candelier

Publié dans #moi je...

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